Human@Condition: Jean David Nkot

27 Mai - 7 Juillet 2021

L’esthétique et la composition des œuvres présentées dans Human@Condition sont épurées et jouent avec la transparence dans un souci d’aller à l’essentiel. Leur construction, basée sur l’analyse, est, elle, plus complexe. Bientôt, à la cartographie se superpose un réseau d’information et de données chiffrées que Jean David Nkot connecte entre elles.

Peintre de la condition humaine, le camerounais Jean David Nkot a fait de ses portraits hyper réalistes sur fond cartographié sa signature. S’il s’est un temps concentré sur la douleur de ses personnages, il est l’heure pour eux de la rédemption. 

 

À travers son exposition monographique Human@Condition, il libère ses portraits du poids de leur histoire et met en avant leur combat plutôt que leur peine. La notion de résilience guide ce nouvel ensemble. Il y étudie la manière dont le corps réussit à s’intégrer dans un espace qui lui est défavorable. Il s’intéresse aux moments de joie et capte les sourires derrière la souffrance. Il n’appelle ni à la pitié ni à la compassion et loue l’abnégation et la force des anonymes qu’il peint.

 

La migration était jusqu’alors un moyen pour Jean David Nkot de retranscrire la condition humaine. L’artiste la représente désormais en explorant la thématique de l’exploitation minière. L’analyse de données est au centre de son œuvre. Le réseau d’information qui se dessine et se superpose à la cartographie rappelle les méthodes d’investigation. Dans le prolongement des structures narratives sur lesquelles l’artiste américain Mark Lombardi travaillait dans les années 90, Jean David Nkot note, annote, relie et questionne. D’ordinaire, la carte schématise une réalité géographique à une échelle moindre, simplifiée et hiérarchisée. Dans l'œuvre de Jean David Nkot, elle se fait le support de la narration. D’une toile à une autre, il joue avec sa composition. Elle devient alors terre d’expérimentation. Si elle demeure en majorité figurative, il expérimente de nouvelles pistes plastiques à travers sa série www.lookofhopes@.com. Il y applique une carte sérigraphiée sur le tracé d’origine. Mettant de côté tout réalisme géographique, les données dont la cartographie se pare, sont plus importantes que les territoires qu’elle exhibe. Imaginaire, elle intrigue. À la vue de ces aplats colorés, le “quoi ?” se substitue au “où ?”. Rapidement, l’information prend le dessus, tout comme elle s’impose sur le portrait représenté. Les cartes de Jean David Nkot offrent une meilleure connaissance du monde contemporain en soulignant ses enjeux économiques et politiques.

 

S’il portrait ceux qu’il nomme les “creuseurs de sous-sol”, il devient lui-même creuseur. Il creuse au plus profond de l’information pour en révéler le sens caché. L’esthétique et la composition des œuvres présentées dans Human@Condition sont épurées et jouent avec la transparence dans un souci d’aller à l’essentiel. Leur construction, basée sur l’analyse, est, elle, plus complexe. Bientôt, à la cartographie se superpose un réseau d’information et de données chiffrées que Jean David Nkot connecte entre elles. Inspiré par les maps de l’artiste suisse Thomas Hirschhorn, il crée ce qu’il appelle des maps molécules. Thomas Hirschhorn élabore des cartes personnelles pour raconter des histoires. Il y pose ses idées et ses inspirations, comme s’il ouvrait au public son laboratoire créatif. Jean David Nkot, lui, reprend l’apparence de ces maps. En entourant et reliant les idées clés, il met ainsi ses maps molécules au service de l’histoire. Il y détaille et analyse les données relatives à l’exploitation minière. Mots-clés et chiffres sont attachés les uns aux autres sans cohérence apparente, happés dans une structure qui rappelle celle des molécules et des atomes. Dates, quantités, prix, minerais, pays et plans économiques cohabitent. En écho à la dimension politique et stratégique des cartes, Jean David Nkot les détourne et touche à ce que l’écrivain et théoricien français Guy Debord appelait psychogéographie. La carte, subjective, s’habille d’éléments personnels qui offrent de nouvelles clés de lecture. Parfois, comme dans BP. Cassiteri / Jeux de %.cm, des points d’interrogation viennent ponctuer l’ensemble. Jean David Nkot interroge les chiffres. Qu’en est-il des exploitations artisanales ? L’artiste invite à la réflexion : comment ces différents éléments peuvent-ils susciter un débat autour d’un sujet précis ? Il revient au visiteur averti de résoudre le puzzle dont Jean David Nkot éparpille habillement les pièces; de comprendre ce qui est caché. Il porte un regard moqueur sur la transparence des données. À quoi bon les rendre publiques, si leur sens reste obscur ? 

 

L’approche thématique adoptée par Jean David Nkot est avant tout économique. Il souligne comment les pays d’Afrique sont prisonniers de leurs propres richesses, comment les autres pays les contrôlent et comment les populations locales en souffrent. C’est ainsi que le terme PPTE revient en ricochet sur plusieurs toiles. Cette initiative en faveur des Pays Pauvres Très Endettés a été conjointement lancée en 1996 par les pays les plus industrialisés, le Fonds monétaire international et la Banque mondiale. Si le Bénin, le Burkina Faso, le Mali, le Niger et le Sénégal se sont sortis de la spirale de l’endettement et ont atteint leur point d’achèvement, un rapport Standards & Poor’s de 2018 suggérait l’échec de l’intervention. Jean David Nkot relève l’ironie de cette appellation : “On parle de Pays Pauvres Très Endettés, mais les sous-sols de ces pays-là sont très riches.” 

 

Il se focalise principalement sur l’enjeu que représentent les matières premières en Afrique. C’est ainsi que ses toiles dépeignent ceux qui s’emploient à extraire ces minerais, ceux qui subsistent une fois les ressources naturelles extraites et vendues à l’étranger. Il attire le regard sur ces travailleurs de l’ombre et se soucie ici de la résilience de ces corps qui triomphent sur un territoire hostile. Il précise : «J’ai pris pour modèles les jeunes de mon quartier. J’ai voulu mettre en avant leur attitude et leur posture de vainqueurs. Cette série montre des sourires et de la joie plutôt que de la souffrance. J’entends surtout montrer comment le corps, malgré la difficulté, reste en résilience.» Derrière cette résilience se cache la mauvaise gestion des ressources minières par les États. Il y a un véritable contraste entre ce qu’il se passe et comment les jeunes arrivent malgré tout à s’en sortir. 

 

Ainsi, loin d’un discours misérabiliste, Human@Condition retient et retranscrit l’attitude fière et les moments de complicité entre les personnes que Jean David Nkot représente. S’il confronte histoires personnelles, données économiques et situation géopolitique, il ne perd pas de vue l’humain. Les portraits qu’il exécute sont une manière d’illustrer des chiffres abstraits, de mettre un visage sur la situation dans les mines. Qui sont ces personnes qui y travaillent ? Quel est leur quotidien ? Quels sont les pays impliqués ? Il montre l’envergure mondiale d’une situation pourtant localisée ; l’extraction de minerais en République Démocratique du Congo et au Rwanda; en mettant en évidence les acteurs impliqués. Il questionne la destination des matières premières extraites en Afrique et à qui elles profitent. Il déplore l’exploitation des sols au détriment de l’humain mais affirme la force de ceux qui se battent chaque jour pour une vie meilleure dans un environnement adverse.

 

 

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