"RÉSISTE” met en perspective la notion de résistance à deux échelles, confrontant le regard de deux artistes. Tous deux s’affranchissent des règles et composent leur propre univers visuel. Ils réinterprètent la figure humaine, dans le prolongement de la tradition du portrait.
Du latin resistere : «se tenir en faisant face», l’exposition «RÉSISTE» présente les œuvres de Sejiro Avoseh et Salifou Lindou.
Le trait dynamique de Salifou Lindou expose les entrailles de l’être humain au grand jour, ses faiblesses comme ses forces. Les figures de Sejiro Avoseh, quant à elles, déformées par la violence et l’injustice sont les victimes de leur temps, martyres de l’histoire contemporaine. Le vocabulaire et l’esthétique propres à chacun des deux artistes attestent d’un art en résistance. Politiques, leurs œuvres racontent leur époque et mettent à nu leur sujet. La violence picturale qui les transcende reflète aussi bien les conflits sociaux et les horreurs quotidiennes que les combats internes aux êtres humains. Alors que Salifou Lindou explore «l’infinie résistance de l’être face aux traumatismes de l’existence», Sejiro Avoseh témoigne de l’histoire de son pays en écho à ses bouleversements. Il dénonce les abus de pouvoir et prône un nouveau vent de liberté. Si Salifou Lindou dépeint une lutte globale qui concerne tous les êtres humains, de l’angoisse originelle de la naissance aux aléas de la vie, Sejiro Avoseh oriente son analyse sur des évènements précis.
Ainsi, “RÉSISTE” met en perspective la notion de résistance à deux échelles, confrontant le regard de deux artistes. Tous deux s’affranchissent des règles et composent leur propre univers visuel. Ils réinterprètent la figure humaine, dans le prolongement de la tradition du portrait.
Déjà Goya se concentrait sur la laideur des corps pour représenter un réel qu’il jugeait irreprésentable. Il puisait dans les références populaires pour enrichir sa peinture tout comme pour lui donner un cadre temporel. La violence dans l’art est souvent l’expression d’un conflit social générateur d’angoisse. Si la violence est sujette à controverse, la palette que développent les artistes pour la dépeindre enrichit leur pratique et documente leur époque.
Dans le travail de Sejiro Avoseh, l’acte de création lui-même laisse transparaître la violence. Il décompose et défigure ses personnages. Il déchire et brûle ses toiles à certains endroits. L’œuvre devient un être hybride tantôt composé de différents pans de tissus cousus entre eux, tantôt de coupures de journaux et magazines. Des lambeaux se détachent de ses toiles, comme un corps décharné et en souffrance, comme une illustration de la violence subie par la chair. La toile est ici un terrain d’expérimentation dans lequel la violence de l’Histoire se répercute. Elle incarne et vit les horreurs dont Sejiro Avoseh se fait le conteur. Elle devient la victime de cette brutalité créatrice, étendard de ces visages déformés, témoin de son temps.
Dans la série «Abuse of Innocence», les Teletubbies de notre enfance sont salis et pervertis. Leur image d’ordinaire lisse et colorée laisse place à un conte post-apocalyptique. Si l’univers de Sejiro Avoseh a des airs de dystopie : des personnages mutins brutalisés et transformés en monstres, aux animaux imaginaires et menaçants, il reflète en réalité la situation politique du Nigeria. L’artiste a choisi ces icônes issues de la culture populaire pour représenter l’innocence des citoyens maltraités et abusés par les forces de l’ordre. Des attributs masculins viennent perturber cette imagerie enfantine. Sejiro Avoseh les cache dans sa composition, comme autant de symboles de pouvoir. Il accuse ainsi la brutalité et l’animalité des forces de police et se bat pour que cette situation cesse. «Il faut arrêter ces abus avant que la situation ne dégénère.» Il en interroge justement les débordements et leurs conséquences à travers ses toiles Floating in Lilies I et II. Cet ensemble rend hommage aux personnes disparues après la manifestation contre le SARS qui a eu lieu à Lagos au Nigeria le 20 octobre 2020, et a été renommée par les médias «mardi noir». Sejiro Avoseh souligne : «Suite au mardi 20 octobre, de nombreuses personnes ont été portées disparues. Peut-être reposent-elles parmi les nénuphars, dans le lagon de Lagos ?» En représentant ces nénuphars, il inculpe les forces armées qu’il montrait déjà du doigt à travers Mad Police, et regrette une violence généralisée et une justice arbitraire.
Violence et injustices habitent le reste de son œuvre, toujours en écho à la situation du Nigéria. Politique et engagé, agité par la violence ambiante, l’art de Sejiro Avoseh est un art de la résistance. Il se lève face au système établi et soutient le cri de sa génération.
Le cri que Salifou Lindou représente est celui de l’être humain : du cri originel marquant sa naissance - première angoisse à laquelle il est confronté selon la théorie freudienne - à la manifestation des dualités qui l’habitent et le dirigent. L’artiste déconstruit l’être humain. Il l’expose comme si la réponse à la question de l’existence résidait dans cet amas organique à la base de tout être. Les feuillages qui se mêlent aux tripes tortueuses et à la trachée noueuse qui structurent son corps, expriment la légèreté comme la fragilité.Salifou Lindou poursuit ainsi sa réflexion sur ce rapport contradictoire qui régit l’être humain. Partant d’un questionnement universel, son travail comporte aussi une dimension personnelle, entre souffrance et combat. Sa série d’autoportraits le représentant sous les traits d’un boxeur, illustre de cette manière la force mentale qui l’habite. La délicatesse du papier et le fumé du pastel en contraste avec la puissance du geste, soulignent ainsi cette opposition, tout comme la dimension tragique de l’existence.
Le tragique, Salifou Lindou l’accentue en revisitant un mythe grec. Il libère ainsi le Minotaure à travers ses Bergères. A contre-courant du mythe originel, il représente un personnage mi-femme, mi-bête. À la bestialité de l’animal se mêle la sensualité et la douceur du personnage féminin. Alors que ces deux visages ne font qu’un, liés par le même corps, Salifou Lindou interprète, à travers cette créature hybride, l’ambivalence des êtres humains : entre fureur et mesure.
Si Salifou Lindou traite de sujets de société, il illustre toujours la rage de vivre et la passion, en opposition à la vulnérabilité de l’enveloppe corporelle. Sous ses pastels se dessinent les combats internes comme externes qui tiraillent la société. Que ce soit sur le papier ou sur la toile, Salifou Lindou étudie la complexité de l’être humain à travers des scènes de la vie quotidienne qu’il nourrit de références aux légendes et aux classiques de la peinture moderne. Des Deux femmes courant sur la plage de Picasso au mythe du Minotaure, son œuvre donne vie à des personnages à la fois familiers et différents. Qui sont ces figures faisant de leur fragilité une force ? Pourquoi semblent-ils si fiers et si combatifs alors qu’ils sont mis à nus et exposés face à notre regard intrusif ? L’art de Salifou Lindou a finalement une vertu éducative et donne une leçon de courage comme d’abnégation. La force ne vient-elle pas en acceptant ses faiblesses ?
Mises bout à bout, les œuvres de Salifou Lindou composent et retracent l’histoire de l’humain. Entre combat idéologique comme physique, force de caractère et fougue, elles sont en elles-mêmes un acte de résistance.
Ainsi, «RÉSISTE» présente un ensemble d’œuvres viscérales, mêlant passion et combat. Entre violence et chaos, elle se fait le cri d’une génération en marche pour le changement. Si la chair à vif des personnages de Salifou Lindou est la promesse de révéler les secrets de l’humain, les figures disloquées de Sejiro Avoseh, elles, affichent la violence de l’Histoire en cours.