Inverted Blackness traduit visuellement les changements d’identité qui s’opèrent au sein même de ceux qui arrivent aux États-Unis, face à une culture à laquelle ils sont étrangers. Ils adaptent - parfois inconsciemment - leurs habitudes, leurs centres d'intérêt, leur alimentation, leur façon de s'habiller et de parler.

“Comment l’identité et l’appartenance à une communauté se construisent-elles ? Comment s’intégrer dans un pays lorsque l’on quitte sa terre natale ? ”Sont autant de questions posées par Boluwatife Oyediran dans ses portraits intimistes d'immigrés noirs et d'africains et vivant aux États-Unis, peints dans un camaïeu de bleus.

 

Lui-même pris dans l’entre-deux de sa culture maternelle et sa volonté de s’intégrer dans la société américaine - en tant qu’étudiant à la Rhode Island School of Design - le peintre nigerian en vient à traduire visuellement ces mutations internes. Les corps bleus baignés d’un halo luminescent correspondent en réalité à l’image de corps noirs travaillés en négatif. Cette transformation opérée de manière digitale puis reproduite sur la toile consiste en ce que Boluwatife Oyediran appelle Inverted Blackness - concept au cœur de son exposition éponyme. Outre le procédé d’inversion des couleurs, l’artiste s’intéresse au terme ‘négatif’ en lui-même, le rapprochant des a priori et stigmatisations dont souffrent les immigrés africains aux États-Unis. 

 

C’est au moment où les meurtres de George Floyd, Breonna Taylor et Ahmaud Arbery se sont déroulés aux États-Unis, que Boluwatife Oyediran a pris conscience de la couleur de sa peau dans un monde global. S’identifiant aux Afro-Américains, il a projeté leurs combats dans les siens, embrassant le mouvement Black Lives Matter. Déménager aux États-Unis en 2022 lui a fait réaliser qu’il n’était pas perçu comme noir Afro-Américain mais comme africain, nigerian et yoruba. Il a compris que l’Histoire, les expériences et le bagage culturel comptent davantage que l’apparence physique dans la définition d’une identité. De ce sentiment de marginalisation et de rejet d’une communauté à laquelle il pensait appartenir, a émergé l’idée d’Inverted Blackness. Ce concept est apparu comme un moyen de s’écarter des modes de représentation traditionnels des peaux noires en n’utilisant aucune teinte de marron et de noir au profit d’une large palette de bleus. Ainsi, Inverted Blackness traduit visuellement les changements d’identité qui s’opèrent au sein même de ceux qui arrivent aux États-Unis, face à une culture à laquelle ils sont étrangers. Ils adaptent - parfois inconsciemment - leurs habitudes, leurs centres d'intérêt, leur alimentation, leur façon de s'habiller et de parler. 

 

Au-delà du traitement chromatique, les toiles de grand format rendent compte de cet état de transition, en introduisant des éléments de décor spécifiques à un mode de vie occidental dans lequel plantes d’intérieur et animaux de compagnie font religion. Fragments architecturaux, faune et tissus ponctuent la narration de l'exposition. Ils attestent de la façon dont les individus apprivoisent et évoluent dans un nouvel environnement pour atteindre leurs objectifs, ce pourquoi ils sont partis. La toile - Higher Goals (After Hammons), 2024 - un autoportrait de l'artiste jouant au basketball, présente des objets tridimensionnels qui allient la culture américaine - le panier de basket - et la culture nigériane - le filet perlé. En référence à l'œuvre de David Hammons - cinq paniers de basket placés si haut qu'il est impossible d'y lancer des ballons -, Higher Goals incarne les aspirations des immigrés et renvoie l'image de l'Amérique avec laquelle la plupart d'entre eux ont grandi : « Un paradis sur une planète lointaine. Un lieu de faste, de paillettes et d’instantanéité. Un pays prodigue de beauté et d'opportunités à profusion », comme le décrit Boluwatife Oyediran quelques mois après son arrivée aux États-Unis dans une nouvelle intitulée Jupiter in Bad Conditions - où fiction et détails autobiographiques s’entrelacent.  

 

Face aux toiles, le visiteur lit Inverted Blackness comme il se plongerait dans le journal intime de Boluwatife Oyediran. Les nuances céruléennes qui imprègnent les corps reflètent un processus de métamorphose intériorisé, témoin de l'expérience des citoyens africains qui s'installent aux États-Unis - en écho au vécu de l’artiste lui-même. Ce dernier propose ainsi une esthétique de l’hybride, dans la lignée des théories post-coloniales. 

 

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