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TON EXPOSITION S’INTITULE CE RYTHME, MON ESPRIT, UNE DISCORDE. COMMENT EST NÉ CE PROJET ET COMMENT S’INSCRIT-IL DANS TA DÉMARCHE ARTISTIQUE ?
Tout est parti du discours final de Charlie Chaplin dans son film Le Dictateur, sorti en 1940. Je l’ai découvert à travers une pièce de danse d’un ami à Bamako. Par ce discours, il incite à bannir en nous tout ce qui a trait à la tyrannie pour nous pousser les uns les autres à aller vers une société plus harmonieuse, une société inondée de joie et de paix. Par le biais de cet appel passionné à la fraternité et à la lutte contre les oppressions, j’essaye d’évoquer ce lien avec la guerre, de questionner ce sujet qui m’intrigue et d’étudier comment on peut aller de l’avant dans un contexte où tout le monde doit apporter sa part de contribution pour éradiquer ce fléau.
DANS CE CONTEXTE MARQUÉ PAR UNE MONTÉE DES TENSIONS ET UN SENTIMENT CROISSANT D’INSÉCURITÉ POUR DE NOMBREUSES COMMUNAUTÉS, COMMENT PARVIENS-TU, EN TANT QU’ARTISTE, À CAPTER ET REPRÉSENTER CES RÉALITÉS DANS TES ŒUVRES ?
Pour cette exposition, il me semblait vraiment important, de représenter ces notions d’insécurité croissante dans notre société. Cette tension présente dans plusieurs zones géographiques du monde est caractérisée par une installation immersive. Elle est constitué d’un ciel formé par des fils rouges desquels sont suspendus des bouts de métal rouillé, des douilles et des lames de rasoir. Cette installation a pour unique but de faire ressentir ce sentiment d’insécurité et de danger qui plane au-dessus de la personne qui la traverse. Alors qu’elle essaye de l’ignorer, ou bien même ne s’en est pas rendue compte, le danger est présent et on ne peut pas l’ignorer sur le long terme.
QUELS CHOIX ESTHÉTIQUES OU SYMBOLIQUES FAIS-TU POUR TRANSMETTRE CETTE VULNÉRABILITÉ ET RÉSILIENCE DES PEUPLES ?
Pour exprimer ce sentiment, je donne à l'œuvre un aspect visuel fragile, tout en choisissant des matériaux délicats. Chaque pièce, prise individuellement, semble altérable — elle sont faites de carton, de papier journal ou de fil de coton. Mais c’est en les réunissant qu’elles deviennent quelque chose de très solide. Je vois l'être humain comme une espèce vulnérable, fragile, qui s’angoisse et se tourmente pour des questions politiques, financières, etc. Même si l’on se croit mentalement fort, je pense qu’il existe en chacun de nous un point de basculement. Cela montre la fragilité de notre âme, et c'est ce que j'essaie de magnifier dans mon travail. Cette force et cette résistance ne s'acquièrent pas forcément seuls, mais en s'unissant, en partageant nos savoir-faire et nos compétences. Ensemble, nous pouvons créer une protection, symbolisée ici par le grigri, objet qui incarne mon œuvre.
L’UTILISATION DU PAPIER JOURNAL EST AU COEUR DE TON TRAVAIL ET FAIT ECHO A TON EXPERIENCE PERSONNELLE. PEUX-TU NOUS EN DIRE UN PEU PLUS ?
Au premier abord, j’utilise ce matériau en hommage à mon père, qui était imprimeur. J’ai grandi au contact du papier journal, à voir mon père le manipuler quotidiennement. Intégrer ce support dans ma pratique est donc devenu un réflexe, une évidence. Le papier journal s’est imposé à moi naturellement. Mon travail est nourri de nombreuses recherches, ce qui m'aide à explorer et à enrichir constamment ma pratique en utilisant les matériaux qui sont à ma disposition. Après de nombreux essais, j'ai réalisé que le papier journal était celui qui répondait le mieux à ma technique, au point de devenir mon matériau de prédilection.
LES NOTIONS DE PAIX ET D’ESPOIR SONT TRES PRÉSENTES DANS TON OEUVRE ; COMMENT LES EXPRIMES-TU VISUELLEMENT ?
Je m’intéresse à ces notions en les explorant à travers des amulettes, des grigris originels qui protègent celui ou celle qui les porte. En partant du sens premier de ces objets, je les réinvente dans un contexte artistique. Mon aspiration est de créer un univers harmonieux, où les grigris incarnent des individus appelés à coexister dans une symbiose plus douce et mélodieuse. Il est essentiel de se soutenir mutuellement et de susciter un mouvement de solidarité imprégné d’amour et de paix.
PEUX-TU NOUS ECLAIRER SUR LA SIGNIFICATION ET L’IMPORTANCE DE CES AMULETTES ?
Chaque particule des grigris symbolise un individu, et les assembler permet de donner forme aux liens qui nous unissent au sein de la société. Il y a une pièce maîtresse dans l’exposition, un triptyque, qui représente cette notion - Sollicitude - et sur laquelle j’ai reproduit, à ma manière, le symbole égyptien ankh. Ce symbole, en forme de croix, symbolise la vie. Pour moi, il représente l’homme dans sa globalité et dans la société. Et ces amulettes font référence à des croyances en Afrique de l’Ouest plus particulièrement au Mali, où il existe une confrérie de chasseurs traditionnelle qu'on appelle les dozos et qui sont des figures emblématiques. Ces grigris, qui sont des objets traditionnels, offrent aux chasseurs-cueilleurs une protection et ils m’inspirent beaucoup dans mon travail.
LA COULEUR EST UN ÉLÉMENT CENTRAL DANS TON OEUVRE. QUE REPRÉSENTE-T’ELLE ET COMMENT CES CHOIX CHROMATIQUES RENFORCENT-ILS LA NARRATION VISUELLE ?
Mon travail se caractérise par 3 ou 4 couleurs dominantes. Dans mes oeuvres nous trouvons du blanc, du rouge, du noir et par moment du bleu qui sont scindés en trois étapes. La première évoque une période trouble, personifiée par le noir pour arriver sur une periode transitoire qui est representé par le rouge. Celle-ci est parsemée, se sont juste des alertes, c’est une quête, un parcours sur lequel il peut y avoir des obstacles. C’est une manière d’avertir et de se préparer à surmonter des épreuves physiques ou mentalement compliquées. Ces épreuves sont destinées à nous emmener à une période de plénitude et de pacification symbolisée par le blanc. Selon moi c’est une période ultime que j'appelle l’heure de la plénitude.
TA DÉMARCHE ARTISTIQUE EST UNE FORME DE RÉBELLION PACIFIQUE CONTRE L'OPPRESSION. QUEL IMPACT ESPÈRES-TU AVOIR À TRAVERS TES OEUVRES ?
A travers mes œuvres, je souhaite éveiller les consciences, susciter une réflexion profonde sur la violence, la sécurité et la vulnérabilité humaine.
Chaque pièce est un miroir tendu vers notre monde, révélant les fractures, les peurs et les tensions qui le traversent. Mon intention est d’interpeller sans heurter, de soulever des questions sans imposer de réponses, en espérant toucher la part sensible de chacun.e. Dans un monde où l’oppression prend tant de formes — sociales, politiques, environnementales…—, je souhaite que mon art devienne un espace de dialogue et de prise de conscience, où les spectateurs peuvent ressentir autant qu’ils réfléchissent. C’est une rébellion silencieuse, mais profondément ancrée, qui appelle à la solidarité et à une réflexion collective pour construire une société plus harmonieuse.
COMMENT TON APPROCHE ARTISTIQUE A-T-ELLE ÉVOLUÉ DEPUIS TES DÉBUTS ET QUELLES SONT TES ASPIRATIONS / TES PROJETS POUR L’AVENIR ?
Mon parcours artistique a été marqué par une exploration continue des formes, des matières et des métaphores. A mes débuts, mon travail était surtout intuitif, presque organique, comme une réponse brute aux émotions et aux réalités qui m’entouraient. Progressivement, j’ai ressenti le besoin d’affiner ma démarche, de lui donner une structure et une profondeur conceptuelle. L’art est devenu pour moi un langage pour exprimer des idées plus vastes, des questions de société, des préoccupations globales. Aujourd’hui, mes œuvres sont plus ancrées dans une réflexion sur le monde qui m’entoure, tout en gardant cet élan spontané qui m’a toujours animé.
Pour l’avenir, j’aspire à pousser davantage cette exploration, en intégrant des éléments interactifs et immersifs. Mon projet est d’aller plus loin dans la réflexion sur les tensions de notre monde, en abordant des thèmes comme la mémoire collective, les liens invisibles entre les individus et les luttes universelles. Mon objectif est de créer des espaces où l’art devient un vecteur de dialogue, une porte vers une prise de conscience collective.
RENCONTRE AVEC ANGE DAKOUO
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