Avec Egbé Okpá, Matthew Eguavoen signe un ensemble personnel et intime, amenant le spectateur au cœur de ses émotions, sur les pas de sa propre expérience. Comme toujours dans la peinture de l’artiste, la mode revêt une place centrale, mettant en scène des personnages sculpturaux dans un décor à l’esthétique léchée parfaitement maitrisée. [...] Sous ses pinceaux, l’art, la mode et les questions de société fusionnent, se faisant le reflet de sa génération.
Les portraits de Matthew Eguavoen mettent en scène ses réflexions sur la société nigériane. Il y explore tour à tour des problématiques sociales, économiques et politiques à travers le regard de ses modèles. Sa nouvelle série d'œuvres présentée dans l’exposition Egbé Okpá plonge cette fois-ci les visiteurs dans l’intimité d’un couple.
Egbé Okpá qui signifie « une famille » en langue Edo - langue parlée notamment dans la région d’Edo au sud-ouest du Nigeria dont est originaire l’artiste - reflète le caractère autobiographique de l’ensemble. Matthew Eguavoen en a élaboré la narration en écho à la naissance de son premier enfant. Il y projette ainsi son expérience de jeune père. Il y questionne la parentalité et l’impact de ce bouleversement sur le couple. Comment était la vie avant ? Comment passe-t-on de deux à trois ? Comment nos responsabilités comme nos priorités sont revues de manière définitive et irréversible ? Egbé Okpá dévoile des portraits intimes en nous plongeant dans la confidence de moments de partage en famille.
Matthew Eguavoen prolonge la tradition des portraits de famille. Historiquement,
plébiscités par les personnalités historiques, politiques, membres de l'aristocratie et bourgeois - du portrait de l’infante Marguerite par Diego Velazquez aux Époux Arnolfini de Jan Van Eyck - ils représentent les individus dans leur intérieur et exposent les liens qui les unissent. Ils inscrivent la famille dans l’Histoire et sont l’étendard de sa réussite sociale et économique. Ils saluent son importance en exhibant ses richesses et sa stabilité. Dans la même lignée, la composition des portraits de Matthew Eguavoen est évocatrice. En plongeant ses personnages dans le confort d’un décor domestique, il montre la place centrale qu’occupe l’enfant dans ce nouveau trio. Il illustre de ses pinceaux comment l’harmonie du couple est modifiée, comment la descendance devient un nouveau pilier de l’équilibre familial. C’est désormais cette petite fille qui montre la direction de son doigt tendu. C’est elle qui arbore, dans le fond sur un cadre photo, des ailes d’ange. C’est elle qui attire l’attention au premier plan. C’est elle qui régit dorénavant la vie familiale.
Les toiles de Matthew Eguavoen rappellent l’enjeu et l’impact de la parentalité - en écho aux mots de Emanuele Coccia : « Être mère (ou père) signifie savoir migrer de corps en corps, laisser migrer ce moi qui est arrivé en nous d’ailleurs, vers d’autres destins et d’autres formes de vie. » Être parent : c’est se décentrer, c’est penser à son enfant avant de penser à soi. Matthew Eguavoen scénarise et met en exergue les différents duos qui se dessinent au sein de la relation familiale, les complicités qui se créent tout comme les liens qui les unissent.
C’est ainsi que la galerie de crypto-portraits que propose Matthew Eguavoen s’articule autour de l’arrivée de son enfant. En reflétant son ressenti face à sa paternité nouvelle, il y instille l’idée que devenir père a changé sa conception du monde et son rapport au couple. Il expose une vision franche et personnelle de la paternité. Ses portraits aux expressions neutres et aux regards perçants laissent place à l’interprétation. S’il sont teintés de tendresse, ils témoignent parfois d’un certain baby blues où la parentalité s’accompagne de son lot de questionnements et de doutes. Ils suivent ainsi les étapes auxquelles Matthew Eguavoen a lui-même été confronté dans son parcours : des difficultés qu’il a finalement surmontées à sa fierté d’être père. Les titres de ses œuvres - Behind Every successful Adam ; Iyaniwura (Mother is as precious as gold) - reflètent l’importance de la figure féminine : compagne et mère - aussi précieuse que l’or.
Alors que le portrait de famille traditionnel a été relayé par la photographie, le démocratisant en le rendant accessible à tous - notamment à travers la photographie de studio - Matthew Eguavoen s’inspire lui-même de clichés de mode dont il change le contexte. Il induit de cette manière une certaine proximité entre ses modèles et le public et rappelle les moments de partage et la fierté capturés dans les studios photo qui ont répandu et fait la renommée de la photographie africaine.
Avec Egbé Okpá, Matthew Eguavoen signe un ensemble personnel et intime, amenant le spectateur au cœur de ses émotions, sur les pas de sa propre expérience. Comme toujours dans la peinture de l’artiste, la mode revêt une place centrale, mettant en scène des personnages sculpturaux dans un décor à l’esthétique léchée parfaitement maitrisée. Ainsi, l’art de Matthew Eguavoen, s’il est ancré dans une tradition classique du portrait, s’inscrit dans la Black Vanguard, cette figuration qui prône haut et fort ses origines et sa culture ; influencée par l’univers de la mode. Sous ses pinceaux, l’art, la mode et les questions de société fusionnent, se faisant le reflet de sa génération.