En immergeant l'œil dans une même couleur, l'espace d'exposition devient un havre de paix. Si Henri Matisse a fait de la couleur un élément central de son art pour sa capacité à nous cueillir, Moustapha Baidi Oumarou choisit sa palette pour apaiser les esprits.
Si le bleu prête son nom à la planète Terre, il revêt un symbolisme fort et habite l’art de ses nuances. Couleur envoûtante pour son absence tangible, le bleu inspire et appelle au rêve. Utilisé pour représenter le vide, l’infini et l’immatériel en écho à la teinte du ciel et de l’océan, le bleu incarne aussi la spiritualité et l’éternité. Ainsi, à travers les toiles de l’artiste camerounais Moustapha Baidi Oumarou, l’exposition Un Monde Bleu met en perspective et réactualise l’utilisation du bleu dans l’art. Les problématiques sociologiques comme politiques sous-jacentes à son œuvre, soutenues par des teintes outre-mer, sont imprégnées de paix comme d’harmonie.
Dans son Traité des couleurs (1810), le poète et scientifique allemand Johann Wolfgang von Goethe remarque la tonalité émotionnelle des couleurs. Il analyse leur existence comme intrinsèquement liée au clair-obscur. Alors que le bleu, en tant que dérivé du noir, émergerait de l’ombre, les peintres romantiques allemands de la fin du XVIIIème l’adoptèrent pour retranscrire leur mélancolie. Si le bleu est considéré comme une teinte froide traditionnellement associée à la peine et à la nostalgie, à l’inverse, pour Moustapha Baidi Oumarou, le bleu évoque un monde rêvé et idéal dans lequel la couleur est investie d’un pouvoir de guérison. Ses œuvres entendent rendre ceux qui les regardent heureux. Elles sont autant d’invitations à se concentrer sur les aspects positifs de la vie. Ainsi, à l’image des hommes fleurs qui habitent son art, le bleu porte et reflète l’approche humaniste de l’artiste qui caractérise l'ensemble de son langage plastique. Il détaille : « Mes personnages représentent l’homme fleur. Ils symbolisent les instants d’humanité, les moments joyeux et les clichés d’amour. »
Moustapha Baidi Oumarou transmet un message de joie, de fraternité et de convivialité. Les scènes de la vie quotidienne qui nourrissent ses toiles et le calme dans lequel ses personnages semblent méditer, attirent l'attention sur ces liens qui les rassemblent, mettant en lumière les notions de famille, d'amitié et de solidarité. Les aplats délimités et unis s’écartent de toute fonction ornementale et accentuent le sentiment de pureté et de simplicité qui réunit ces formes apparemment distinctes.
L'œuvre Cliché idéal incarne l’harmonie chère à l’artiste. Dans un moment familial paisible, les personnages se retrouvent au centre de la toile. Autour d’eux, un bleu profond envahit l’environnement. Il n’isole pas le groupe mais l’enveloppe au contraire d’une vague bienveillante. S’il revisite la longue tradition des portraits de famille d’ordinaire destinés à vanter la richesse de ceux qu’ils représentent, le trait de Moustapha Baidi Oumarou, précis et pur, attire l’attention sur l’essence de ses personnages et leur relation, plutôt que sur leur fortune. Dépouillés de tout accessoire superflu, ils dégagent un sentiment de plénitude, au-delà de tout rapport matériel.
Alors que l’artiste américain James Turrell parle de placer l’homme dans la couleur plutôt que devant un tableau, le jeune camerounais accomplit les deux. Le pigment, dense, habite celui qui le regarde. Le bleu dématérialise la peinture et transforme la perception de l’espace. Ainsi, le monde bleu de Moustapha Baidi Oumarou n’est pas un monde froid. Le bleu qui l’imprègne est au contraire, une nuance accueillante et chaleureuse. Loin d’une fonction décorative et purement esthétique, le bleu baigne les personnages des toiles de Moustapha Baidi Oumarou dans un halo de bienveillance tout comme il invite le visiteur à composer une vie meilleure où l’acceptation de l’autre est au centre de la vie sociale.
Moustapha Baidi Oumarou part de ses observations de la société contemporaine pour composer un monde idéal. La crise sanitaire globale qui sévit depuis 2020 est au cœur de son travail. Il insuffle à son œuvre l’espoir d’être à nouveau ensemble au sortir d’un contexte de pandémie. C’est ainsi qu’il nous plonge dans un univers onirique bercé par la joie de se retrouver et dans lequel mesures de distanciation sociale et masques n’ont pas leur place. L’artiste analyse : « Avec la pandémie, notre rapport à l’autre a été modifié. L’autre est plus que jamais sujet de peur. À travers ma peinture, j’entends faire oublier nos différences et recréer l’harmonie perdue entre les individus. »
Sensible aux effets collatéraux, l'artiste regrette les inégalités qui émergent des différentes réponses gouvernementales à travers l'Afrique et sur d'autres continents où les restrictions et la réclusion qui en résulte se sont avérées plus dures. À travers ses personnages sans visage, anonymes mais universellement reconnaissables, les différences sont effacées. Les barrières physiques et sociales tombent, laissant pleinement la place aux individus de s’affirmer. En immergeant l'œil dans une même couleur, l'espace d'exposition devient un havre de paix. Si Henri Matisse a fait de la couleur un élément central de son art pour sa capacité à nous cueillir, Moustapha Baidi Oumarou choisit sa palette pour apaiser les esprits. S’adressant à la sensibilité de son public, il confère à sa peinture une dimension éthique et prolonge une réflexion sur notre manière d'aborder l'autre, perturbée par le coronavirus.
Que serait une couleur seule, considérée pour elle-même ? Comme l’écrivait Goethe, chaque couleur appelle sa teinte complémentaire créée spontanément par l'œil. C’est ainsi que Moustapha Baidi Oumarou dissémine dans ce monde bleu des touches d’autres nuances. Finalement, Un Monde Bleu est non seulement le monde rêvé de l'artiste, mais aussi celui du visiteur - un univers idéal et partagé où l’on oublie nos différences et vit en harmonie et en paix.