Mouhcine Rahaoui fait partie de ces artistes dont l’histoire personnelle habite la démarche créative. Ses œuvres multidimensionnelles écrivent un docufiction : entre la réalité des mines de charbon et les contes qui les accompagnent. Mouhcine Rahaoui n’est pas mineur. Son père le fut. S’il n’a jamais lui-même véritablement travaillé dans les mines, sa pratique plastique ressort profondément marquée des échos et témoignages avec lesquels il a grandi. Il se les approprie pour réincarner les mines, lui, enfant de Jerada, cité minière marocaine proche de la frontière algérienne.
Mouhcine Rahaoui compose l’esthétique du mineur et établit sa légende. Les paysages qui émergent de la matière dissèquent les entrailles de la terre, excavant des horizons mystérieux comme inquiétants. L’abstraction de Mouhcine Rahaoui figure le sentiment de la ville de Jerada, hantée par la mine et ceux qui y ont travaillé et y travaillent toujours malgré la fin légale de son exploitation dans les années 2000.
Son exposition personnelle - À l’horizon, une obscure clarté - rend compte d’une recherche conceptuelle autour de la mine. Mouhcine Rahaoui donne à voir une réalité qui relève, dans l’imaginaire, d’une fable lointaine et non du quotidien. Il traduit les sentiments de dépendance et de risque mêlés de fascination et d’espoir. Tout en honorant la mémoire du mineur dans la fatalité de son aliénation à la terre, il souligne les mouvements de résistance et la solidarité qui règnent dans l’adversité.
Sous la plume de Corneille, ‘l’obscure clarté qui tombe des étoiles’ baigne le front d’une étrange lueur et préfigure la bataille qui s’annonce, perturbant la quiétude de la nuit. Sous les mains de Mouhcine Rahaoui, cette lumière sombre est celle des profondeurs des mines. Tout aussi troublante, elle attend les hommes aux mains noires qui partent au charbon. Cet horizon semble le seul possible dans une ville où l’économie tourne principalement autour de l’industrie houillère, non contrôlée et dangereuse. Mouhcine Rahaoui construit un documentaire poétique et social sur la condition humaine, sur l'avenir de l'homme en proie à la malédiction des ressources, et à son désir de se détourner d’un destin qui semble pourtant inévitable.
Aux murs, le visage de Jerada est fragmenté. Des objets du quotidien – lambeaux de sacs contenant autrefois du pain puis utilisés pour transporter le charbon, bougies et cordes – incarnent les couches géologiques au cœur desquelles descendent chaque jour les mineurs. Omniprésent dans ses œuvres, le charbon apparaît non seulement sujet mais avant tout médium. Il apporte sa couleur, sa texture et son mouvement. Il devient pigment et protagoniste, capturé dans un mélange de cire et de colle ou apposé directement sur la surface de la toile. Dans cette exploration de la matière, Mouhcine Rahaoui propose un manifeste de l’instabilité, imprégné d’une esthétique de l’effondrement et du danger pour incarner le sentiment d’insécurité qui se dégage de la mine.
Mouhcine Rahaoui développe son vocabulaire visuel à partir du champ lexical du mineur, liant intrinsèquement le travailleur à son environnement, croisant de manière indéfectible leurs destinées, tout comme, visuellement, la cire se mêle au charbon. Le mineur se trouve réincarné dans l’objet, rattrapé par la réalité de sa condition.
Plus loin, la poussière noire recouvrant les cartes à jouer évoque la fatalité de la silicose : maladie pulmonaire provoquée par l'inhalation de fines poussières de charbon, courante chez les travailleurs des mines.
À la fin de ce cheminement à travers la mémoire de Jerada, après avoir accompagné les mineurs dans leur labeur comme leurs moments de repos, le visiteur pénètre dans l’obscurité de la mine, avec en fond sonore la voix de la mère de l’artiste contant ses souvenirs. L’image de ses mains pétrissant le pain luit dans la pénombre.
Ainsi, Mouhcine Rahaoui, dans sa volonté d’introduire sa ville au monde, rend hommage aux mineurs et leur adresse un message d’espoir : celui de choisir leur propre horizon.