Les pommes de la discorde: Jean David Nkot

11 Juillet - 16 Octobre 2022

En confrontant les visiteurs à ces corps, devenus des outils au service de l'économie capitaliste, Jean David Nkot les invite à faire face à la violence qui se cache derrière l'exploitation des minerais. Il souligne ainsi les enjeux économiques, politiques et environnementaux sous-jacents. 

Le travail de Jean David Nkot met à l'honneur les figures invisibles de l'économie de marché, sans cesse rappelant le combat du corps sur le territoire. S'il dédie ses larges portraits à représenter celles et ceux dont le travail sert une société de consommation aux besoins intarissables, l'artiste camerounais prolonge ses recherches sur l'extraction minière entamées en 2020 et entreprend un travail scientifique inspiré d'une démarche archéologique. Alors que l'archéologie se concentre sur les corps et les objets enfouis venus de civilisations passées, Jean David Nkot, lui, s'adonne à ce qu'il appelle archéologie des corps . Il y explore et documente la trajectoire de vie de ceux qui oeuvrent sous le sol, à la recherche des minerais qui donneront vie aux biens technologiques distribués à travers le monde. 

 

Dans son exposition personnelle  Les pommes de la discorde, le motif de la batterie de voiture qui revient en écho, incarne, en tant que condensateur d'énergie, ce que Jean David Nkot appelle la  pomme de la discorde contemporaine . L'artiste lie les minerais aux corps qu'il érige aux rang d'objets de contemplation. Il en sublime la force et la résilience face à leur instrumentalisation. En confrontant les visiteurs à ces corps, devenus des outils au service de l'économie capitaliste, Jean David Nkot les invite à faire face à la violence qui se cache derrière l'exploitation des minerais. Il souligne ainsi les enjeux économiques, politiques et environnementaux sous-jacents.

 

L'ensemble d'oeuvres présentées dans  Les pommes de la discorde  témoigne d'une progression thématique comme technique. Jean David Nkot y étudie de nouvelles pistes plastiques entre une esthétique maniériste et baroque. En jouant avec la lumière et le cadrage, chaque toile communique une émotion différente et propose une nouvelle approche de son sujet. L'esthétique, libre et non contrôlée, reflète l'engagement de l'artiste et traduit le contexte social, économique et politique dans lequel s'inscrit son combat pour la reconnaissance de ceux qui travaillent sous le sol.

 

Jean David Nkot part du mythe grec - présenté par Homère dans l' Iliade - de la pomme de la discorde, prétendue avoir provoqué la guerre de Troie - et en fait la métaphore des problématiques qui accompagnent l'extraction minière notamment sur le continent africain. Il questionne à qui profitent ces ressources naturelles et ce que coûte réellement leur extraction en matière de capital humain comme naturel. Comme celle qui entraina une guerre historique, cette pomme de la discorde contemporaine n'est pas dénuée de conséquences. Elle est symptomatique des limites d'une économie basée sur l'exploitation des matières premières. Ainsi, Jean David Nkot remet en question le système de domination qui régit le monde où les intérêts économiques priment sur le respect des vies humaines comme de la nature. Face à l'arbitrage constant entre valeur économique et valeur humaine, il appelle à la protection de cet écosystème.

 

Les consommateurs, séduits par le produit final - ordinateurs, téléphones, voitures électriques et autres appareils électroniques devenus synonymes d'avancée technologique et de confort - ignorent son origine et les conditions qui rendent son existence possible. Jean David Nkot corrige ce manque de visibilité et de reconnaissance en mettant en exergue les mineurs à travers la souffrance du corps. Toutefois, les corps ne sont pas violentés. Jean David Nkot s'écarte ainsi de l'influence de Francis Bacon et de Jenny Saville, dont la représentation des corps à vif a marqué la peinture de ses débuts. Les corps que Jean David Nkot dépeint désormais, souffrent davantage de l'intérieur qu'à l'extérieur. Ils encaissent les chocs et intériorisent les traumatismes auxquels ils sont exposés. Jean David Nkot détaille : "Le corps le plus à plaindre aujourd'hui est celui qui est présenté comme un corps idéal, un corps sain. Mes corps n'ont pas de stigmates mais ce sont eux qui souffrent le plus."

 

Magnifiés, ces corps se dressent tels des sculptures. Jean David Nkot en accentue l'arabesque et la musculature. Réinterprétant une tradition picturale maniériste, il représente un corps en mouvement, à l'opposé d'un corps statique, jusqu'à les enchevêtrer. À travers l'ensemble présenté, Jean David Nkot transforme progressivement le corps en matière. Ses aspérités et sa carnation le rapprochent de la roche elle-même. Les corps bleus font ainsi écho au cobalt. Alors que les minerais sont exploités, les corps sont eux-mêmes épuisés, vidés de leur énergie. Ils portent en eux le regard critique de l'artiste qui fait un parallèle entre la surexploitation des êtres humains et celle des ressources naturelles dans un système mondialisé, motivé par la surconsommation de produits manufacturés.

 

Lorsqu'il pare les corps d'inscriptions - slogans publicitaires, symboles chimiques ou récits documentaires - Jean David Nkot atteste de la cicatrice que laisse l'activité minière sur les corps. Dans sa série de trois toiles présentant un enfant au pied d'une batterie, il enquiert les efforts des industriels pour produire des biens plus "propres". Il relève que ces efforts épuisent les ressources naturelles plus qu'elles ont un impact positif sur la planète. Ainsi, Jean David Nkot invite ses spectateurs à rester alertes quant aux discours commerciaux promouvant une consommation plus "verte". Il dénonce une écologie faussée et compare le prix des voitures électriques aux salaires de ceux qui extraient les éléments qui servent à produire ces voitures, en relevant l'énorme fossé qui se creuse.

 

Finalement, si le corps est au centre de ce nouvel ensemble, la carte, bien que discrète, le marque de son empreinte, dans la continuité du travail de l'artiste. Parfois composée de deux couches différentes - la première : une carte topographique, fait référence au territoire ; la seconde : une carte de ville - montre comment les communautés se créent et se divisent où se trouvent les mines. La peau des personnages se fond au territoire et atteste de l'impact que l'un a sur l'autre tout comme des liens étroits qui les unissent.

 

Dans Les pommes de la discorde, le corps, au cœur de la toile, porte en lui la douleur liée à l'épuisement des ressources naturelles. Le corps est à la fois matière et outil, utilisé pour répondre aux besoins d'une économie où la surconsommation est devenue la norme. Ce nouveau corpus d'œuvres est une rencontre avec ceux qui évoluent sous le sol, à la recherche de précieux minerais. Jean David Nkot continue de constituer les archives de son époque et plonge le spectateur entre le dessus et le dessous, sur les pas de ces héros qui font fonctionner l'économie.

 

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