EN CONVERSATION AVEC SAÏDOU DICKO

  • PEUT-ON DIRE QUE TES OEUVRES SONT UN MOYEN DE RENDRE HOMMAGE À TES ORIGINES ET TON ENFANCE ? 

    En effet, mes œuvres rendent hommage à mes origines et à mon enfance. Ce sont des sources d’inspiration essentielles pour moi. Dans mon travail, j’essaie aussi de partager les souvenirs agréables que j’ai de l’époque où j’étais un jeune berger. J’essaie vraiment de partager à travers mes œuvres les émotions que j’ai ressenties dans ces paysages mais aussi les découvertes et les moments d’émerveillement que j’y ai vécus. C’est aussi pour ces raisons que je rends hommage à la générosité de cette terre, de cette nature et de ces paysages : si pauvres et à la fois si généreux. Il est très important pour moi de partager la beauté de ces endroits. Mon travail est un mélange de tout ça. 

     

    QU'EST-CE QUI INSPIRE TON TRAVAIL ? 

    L’enfance m’inspire énormément. J’ai la chance de voyager et de pouvoir mélanger ce que j’ai vu. Les dessins parlent aussi beaucoup du plastique que nous voyons désormais traîner un peu partout, tous pays confondus. Ce qui m’intéresse, c’est la façon dont on utilise le plastique intelligemment et dont on l’optimise. Je ne suis pas défenseur de la critique à tout prix. Il y a du bon dans ce matériel et il s’agit de savoir comment le rationner et l’utiliser à bon escient. Il ne faut pas juste bannir le plastique et couper des arbres pour faire du carton. J’ai travaillé avec des matériaux de récupération dans certaines de mes œuvres. L’écologie a une place centrale dans l’ensemble de mon travail. Chez nous on dit, “La nature vieillit”, comme les hommes. Elle fond, elle sèche et parfois, les ressources ne sont plus suffisantes. 

     

    TU ES D'ORIGINE PEULE, COMMENT CETTE CULTURE INFLUENCE-T-ELLE TON TRAVAIL ? 

    Exactement. La culture peule fait partie de mon identité. Tout ce que j’ai appris, tant sur le plan social qu’artistique, vient de cette culture. L’imaginaire de mon enfance, directement enraciné dans la tradition peule, est la genèse de mon travail et le vaisseau mère de mon inspiration. Pendant un moment de ma vie, ma famille et moi avons été nomades. Petit, je gardais des chèvres, des moutons et des vaches. Les enfants sont plus grands que les chèvres. J’imagine que c’est ce qui m’a poussé à dessiner principalement des chèvres. Comme on est au dessus, on les voit mieux pour les dessiner alors que les vaches sont trop hautes pour être pleinement perçues par un enfant. Les animaux sont extrêmement importants dans la tradition peule. On se nourrit de leur lait et de leur viande, on les fête et on les soigne. En fait, on ne vit principalement que du lait, surtout quand on emmène les troupeaux en pâturage. La viande est réservée majoritairement aux fêtes. Les animaux créent le lien social. Ils gardent les gens proches. C’est la base de la vie nomade.

     

    QU'EST-CE QUI T'A AMENÉ À RECOUVRIR LA PEAU DE TES PERSONNAGES DE PEINTURE OU D'ENCRE NOIRE ? 

    Dans mes premières photos, je ne photographiais que les ombres de mes modèles. Désormais, je peins les peaux en noir. Je suis fasciné par les ombres. J’aime bien le côté imaginaire et enfantin des ombres. Je capturais les ombres qui se dessinaient sur les murs, les sols, en fonction des fonds. À un moment, j’ai commencé à être limité car le soleil ne va pas sur tous les murs. Il y a des fonds que j’aime mais où l’ombre ne va pas. La suite logique de mon travail a voulu que je commence à photographier des personnages. À partir de là, je me suis dit : pourquoi ne pas les transformer en ombre ? J’ai donc commencé à peindre les corps pour les transformer en ombre. J’aime bien ce côté imaginaire qui continue. Chacun de nous décide de donner sa silhouette, son visage ou non. De s’approprier cette ombre. C’est pour cela que je recouvre la peau de mes personnages de noir. Pour moi, c’est vraiment important de considérer tout un chacun en tant qu’être humain. C’est ce que j’essaie de partager à travers ces silhouettes. Je peins mes personnages pour les transformer en êtres neutres. Des êtres humains, sans couleur ni appartenance religieuse. C’est vraiment l’Homme en tant qu’être humain, que je représente. C’est ce qui qui nous lie qui est vraiment important pour moi.

     

    QUELLE EST LA PLACE DE LA COULEUR DANS TES TRAVAUX ? COMMENT CHOISIS-TU LES TISSUS POUR LES FONDS DE TES PHOTOGRAPHIES ? 

     La couleur a une grande place dans mon travail car j’ai été bercé au milieu de choses colorées : que ça soit les tissus que ma mère brodait, la décoration de la maison familiale avec des plats émaillés ; que ça soit le quotidien, les habits ; que ça soit quand j’étais au village ou à Ouaga (Ouagadougou) où tout le monde s’habille très coloré ou au marché où tout est aussi très coloré. C’est en écho à tout cela que la couleur à une grande place.

     

    C’est pour ça aussi que je choisis souvent au marché les tissus que j’utilise pour réaliser mes fonds. Cela fait des années que je les achète et que je les garde. Donc je les photographie et les utilise comme des fonds. C’est une façon de rendre hommage à la photographie de studio, aux fonds que les photographes utilisaient lorsque l’on partait, petits, faire des photos. Dans ces studios, on avait le choix entre plusieurs fonds, plusieurs paysages dessinés, dans la nature avec des animaux sauvages, etc… On avait des posters avec des gratte-ciel à New-York. Il y avait plein de possibilités. Donc c’est aussi ce que j’essaie de partager à travers mes photos. C’est pour ça que je photographie plein de tissus qui proviennent du marché, des poubelles, ou même de personnes que je peux arrêter dans la rue pour photographier leur sac, leur veste… Souvent, ce sont des tissus qui me parlent et pour lesquels je me dis « Oui, ce tissu peut correspondre à cette personne ».

     

    QUEL EST TON PROCESSUS DE CRÉATION POUR TES PHOTOGRAPHIES ? COMMENT TRAVAILLES-TU LES FONDS EN TISSUS DE TES PHOTOGRAPHIES ? 

     Je ne me considère pas en tant que photographe mais en tant qu’artiste plasticien qui utilise un appareil photo. J’essaie d’être à la fois photographe de studio et photographe reporter. J’utilise mes photos de reportage et les transforme en y ajoutant un fond et transforme ainsi la photo d’origine en photo de studio. Je mets ainsi en avant le travail artisanal des tisserands. C’est comme si je faisais des tissages, non pas fil par fil mais de manière numérique. Je gomme la photo. Je gomme les lignes fil par fil comme pour créer un grillage. Ensuite, en gommant la photo d’origine, la deuxième photo qui est en arrière-plan apparaît. Finalement, je superpose les deux photos. Mes fonds de studio peuvent être la photo de tissus, de murs peints, de carrelages - prises lors de mes voyages au Maroc, ou ailleurs. J’utilise le numérique sans retoucher les images, que ce soit le fond ou l’image de base. Pour combiner les deux, j’utilise le même procédé que les tisserands mais à l’aide d’un outil numérique.

     

    Je rends hommage à tous ces beaux métiers artisanaux qui font apparaître des choses, à tous ces studios photo que j’ai aimé découvrir et à tous ces photographes reporters qui sont des photographes courageux qui nous partagent beaucoup et nous permettent de voyager et de nous faire découvrir plein de choses à travers leurs photos. Je m’efforce de tout combiner en jouant avec.

     

    DE MANIÈRE GÉNÉRALE, QUELLE IMAGE DU BURKINA FASO VEUX-TU DONNER ? 

    Je dirais le vivre ensemble, la joie, l’hospitalité et l’entraide ! Il y en a tellement qu’on ne peut pas tout citer !

     

  • Je suis devenu berger à 4 ans car j’avais un but. Mon but était de voir la fin de la terre, là où la terre et le ciel se croisent pour toucher le ciel car je ne pouvais pas le toucher en hauteur.

     

  • SÉLÉCTION D'OEUVRES DE SAÏDOU DICKO