Point of Correction: Boluwatife Oyediran

22 Janvier - 22 Février 2022

Boluwatife Oyediran emprunte les codes d’un art occidental ethnocentré pour plaider en faveur d’une meilleure représentation des Noirs et interroger la conception même de pouvoir et de norme. Il remplace les protagonistes habituels de l’imagerie religieuse comme politique par ceux qui ont été écartés ou invisibilisés des sphères du pouvoir.

Personnalités historiques et scènes emblématiques de la peinture religieuse viennent enrichir le vocabulaire pictural de Boluwatife Oyediran. C’est ainsi que le peintre nigérian écrit, à travers son exposition personnelle Point of Correction, une histoire alternative en changeant la carnation de personnes illustres. Il corrige de cette façon les notions d’identité noire, de mode, de pouvoir et de monarchie et prend pour point d’ancrage de ses compositions la culture du coton. Il montre que les schémas de domination ne sont pas immuables. À travers des images fortes qui remettent en cause la représentation des icônes traditionnelles, il établit de nouveaux modèles et transmet un message d’espoir. Loin d’être fataliste, il dessine d’autres voies possibles et affirme que toutes les voix comptent.

 

Boluwatife Oyediran emprunte les codes d’un art occidental ethnocentré pour plaider en faveur d’une meilleure représentation des Noirs et interroger la conception même de pouvoir et de norme. Il remplace les protagonistes habituels de l’imagerie religieuse comme politique par ceux qui ont été écartés ou invisibilisés des sphères du pouvoir. Ainsi, si le photographe sénégalais Omar Victor Diop dans sa série Diaspora met en avant des personnalités africaines qui ont joué un rôle important hors du continent et dont l’Histoire n’a pas retenu le nom, Boluwatife Oyediran, lui, modifie la couleur de peau de figures majeures de l’histoire européenne. De la Reine Elizabeth II au Pape Jean-Paul II en passant par Napoléon qu’il incarne lui-même dans un auto-portrait, il ébranle la représentation historique du pouvoir et la hiérarchie raciale. Symboliquement, en adoptant le visage et la posture de celui qui avait pris le pouvoir par la force lors du coup d’État du 18 brumaire an VIII (9 novembre 1799), Boluwatife Oyediran reprend lui-même le pouvoir.

 

S’il change la couleur de peau de personnes historiquement blanches, il explore également l’imagerie et l’idéologie religieuse chrétienne dans la lignée d’Harmonia Rosales. L’artiste américano-cubaine s’approprie le chef d’oeuvre de Michel-Ange : La création d’Adam pour dénoncer un art patriarcal et blanc, et remplace les protagonistes par des femmes noires. Boluwatife Oyediran, quant à lui, s’empare d’une autre œuvre emblématique de l’iconographie chrétienne : La Cène. Alors que la composition est identique à celle de l'œuvre de Philippe de Champaigne surnommée La petite Cène (1648) elle-même inspirée par La Cène  (1495-1498) de Léonard de Vinci, Boluwatife Oyediran opère un changement dans le traitement des peaux. Il représente ainsi Jésus sous les traits d’un homme noir couronné d’une auréole dorée. Figure centrale, les regards aussi bien de ses apôtres que du visiteur convergent dans sa direction. L'attraction est d’autant plus forte qu’un contraste marqué est créé avec les hommes qui l’entourent. Leur peau fond en un mélange de couleurs, effaçant leur identité. En outre, Boluwatife Oyediran édifie de nouvelles icônes en coiffant ses personnages d’une auréole. De cette manière, il entend questionner la construction européenne de la Bible, les jeux de pouvoir et la hiérarchie dans la religion.

 

En réalisant des portraits facilement identifiables comme en réinterprétant des tableaux évocateurs dont il détourne les codes originels, il invoque une esthétique familière et fait appel à un imaginaire commun. Il appelle ainsi à l’inclusion des Noirs qui ont été historiquement marginalisés, exploités, exclus et sous-représentés en inversant cette sous-représentation et en leur redonnant leur part de pouvoir. Il renverse les idées préconçues et inculque de nouvelles valeurs. Bien que subversif, son travail est avant tout optimiste. Boluwatife Oyediran n’adopte pas un discours accusateur mais veut au contraire aller de l’avant pour construire un avenir meilleur sans reproduire les erreurs passées. Il propose de repenser la hiérarchie préexistante et les schémas de pouvoir en apportant des corrections historiques. L’artiste relate : « Un jour, j’ai rencontré quelqu’un qui m’a dit que mes personnages étaient comme des phénix renaissant de leurs cendres (les champs de coton), dans la gloire et la splendeur. »

 

S’il imite les codes de la peinture classique de Léonard de Vinci à Rubens, Boluwatife Oyediran cite comme principale inspiration le surréalisme. Né dans l’entre-deux guerres, le mouvement surréaliste s’opposait à la rigueur imposée lors de la Renaissance et invitait à libérer son inconscient en poussant les barrières rationnelles. Les champs de coton en arrière-plan des toiles de Boluwatife Oyediran rappellent ainsi une histoire collective inconsciente. Alors que la figure centrale, solitaire, semble perdue face à l’immensité et l’infini de son environnement, cela révèle le poids de l’Histoire sur la construction de sa propre identité.

 

Boluwatife Oyediran relève les similarités qui existent entre l’histoire de la mode et l’exploitation du coton notamment à travers le rôle des Noirs. Les champs de coton font référence au commerce triangulaire et à l’esclavage qui ont participé à la prospérité et à l’opulence de l’Empire colonial tout comme à la révolution industrielle. Ses personnages aux vêtements flamboyants, plongés dans ces champs de coton, évoquent en silence l'histoire de la culture du coton. De cette manière, il souligne les liens entre l’industrie du coton et l’expansion de l’industrie textile en Europe tout en mettant en avant ces acteurs de l’ombre qui ont rendu ce succès économique possible. Il les libère du poids du passé pour leur donner le pouvoir.

 

Finalement, Boluwatife Oyediran ne réécrit pas l’Histoire mais nous invite à réfléchir. Il n’est pas question pour lui d’oublier le passé mais de construire le futur. Si Point of Correction présente des figures historiques, l’exposition parle avant tout de représentation. Elle affirme que la parole de tout le monde compte et que chacun peut réaliser ses rêves peu importe sa couleur de peau. Boluwatife Oyediran redonne le pouvoir à ceux qui en ont été historiquement tenus à l’écart. Il cherche à inspirer les nouvelles générations, à les encourager et à leur prouver que tout est possible en érigeant de nouveaux modèles.

 

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