La poésie du lien: Saïdou Dicko & Hyacinthe Ouattara

27 Mars - 25 Mai 2021

La poésie du lien, rassemble deux esthétiques différentes qui se retrouvent en un lieu commun et se rejoignent sur le papier. Ainsi, l’exposition est une rencontre entre deux artistes, une invitation à aller au-delà, à voir au-delà du visible, au-delà du tangible, au-delà de ce que nous connaissons. Elle approche et exalte la poésie qui se cache partout.

Si proches et si éloignés les uns des autres. De la chorégraphie urbaine, bouleversée par les mesures de distanciation physique, aux écrans qui s’interposent dans nos relations, les rapports humains se trouvent perturbés. Les files d’attente se multiplient mais de nouveaux échanges ne se créent pas pour autant. Rester connectés dans la distance est un défi ironique à l’heure où les logos des réseaux sociaux - toujours plus nombreux - se parent de notifications - toujours plus nombreuses - et envahissent notre espace personnel.

 

À travers les travaux de Saïdou Dicko et Hyacinthe Ouattara, l’exposition “La poésie du lien” entend recréer ces liens humains, ces connexions entre les êtres. Elle propose un échange entre deux artistes et engage une conversation avec le public. D’un dessin à une photo, d’une photo à une installation, d’une installation à une œuvre tissée : un glissement s’opère; invitant le public à rejoindre les deux artistes dans leur imaginaire. Les personnages de Saïdou Dicko parcourent le monde alors que Hyacinthe Ouattara en dessine les liens intrinsèques. La poésie du lien, rassemble deux esthétiques différentes qui se retrouvent en un lieu commun et se rejoignent sur le papier. Ainsi, l’exposition est une rencontre entre deux artistes, une invitation à aller au-delà, à voir au-delà du visible, au-delà du tangible, au-delà de ce que nous connaissons. Elle approche et exalte la poésie qui se cache partout. Elle fait réfléchir aux mutations de l’univers. Elle en déchiffre les schémas et en souligne le cycle et les liaisons.

 

En reprenant les mêmes silhouettes et en utilisant les mêmes motifs, Saïdou Dicko questionne le temps, l’espace et l’identité. Transformés en ombres, ses personnages arpentent le monde. Les objets du quotidien sont détournés de leur fonction première. Les bidons deviennent des sièges. Le linge étendu devient un fond de studio. Les techniques mêmes adoptées par Saïdou Dicko : le photomontage comme la broderie ou le dessin, célèbrent cette nécessité de réinventer ce qui existe déjà. L’artiste documente le présent et imagine le futur. Les ombres qui jaillissent sous ses mains s’approprient toute temporalité. Hier, aujourd’hui et demain leur appartiennent. Elles sont le changement. 

 

Dans ses dessins, les personnages au centre de la page blanche sont livrés à eux-mêmes. Dans une attitude contemplative, ils font état du monde qu’on leur a laissé. C’est à eux qu’il revient de proposer un lendemain. Loin des catastrophes naturelles, l’être humain et la nature vivent en harmonie. Saïdou Dicko dessine une invitation à la bienveillance et à renouer avec notre environnement. Le plastique, nerf de la guerre écologique actuelle, alimente ici une nature renaissante et devient ainsi source de vie. L’artiste souligne : "Il ne faut pas juste bannir le plastique et couper des arbres pour faire du carton. Il y a du bon dans ce matériel et il s’agit de savoir comment le rationner et l’utiliser à bon escient.” Il évoque le renouveau. Comment ce qui appartient au passé peut être réemployé dans le présent et participer à construire l’avenir.

 

Tout comme ces anonymes que le photographe éthiopien Girma Berta soustrait au bruit et à l’effervescence d’Addis-Abeba dans sa série “Moving Shadows”, les ombres de Saïdou Dicko sont les personnages principaux de son œuvre. Girma Berta isole des figures en mouvement et utilise l’ombre, à la manière d’un projecteur, pour souligner leur corps et se concentrer sur leur histoire. Ils sortent de l’anonymat le temps d’un cliché, loin de la torpeur de la ville. Si ses personnages se font ombres, Saïdou Dicko, lui, met en lumière l’humain plutôt que l’individu. Il écrit un conte de tous les possibles. Un conte universel auquel tout un chacun peut s’identifier. Un conte rempli d’espoir où transformation et mouvement sont maîtres mots. Transformation : comme ces corps transposés en ombre, comme ces objets à qui il offre une nouvelle vie. Mouvement : comme ces enfants sur le point d’avancer, comme un changement en marche pour composer l’avenir. Dans ses photographies peintes, les silhouettes se déplacent de cliché en cliché, de cadre en cadre, de décor en décor. Si ses personnages se meuvent d’un lieu à un autre, ils restent inchangés : comme si ni le temps, ni l’espace n’avait de prise sur eux, comme s’ils étaient les seuls acteurs de leur destin. Un message d’émancipation se dégage : nous créons ces liens qui nous unissent comme nous les défaisons. 

 

Entre la photographie documentaire et la photographie de studio, les images peintes de Saïdou Dicko sont une collection d’instants. Elles renseignent le présent à travers les histoires personnelles de ces personnages, tout en dessinant le futur. Les ombres mutent d’un cadre à l’autre. Immobiles, elles font face à un monde qui change sous leurs yeux. Les situations se superposent et évoluent. Les chemins se croisent et ouvrent la voie à de nouvelles possibilités. L'œuvre de Saïdou Dicko est infinie. D’un fond à un autre, il offre à ses personnages des aventures éternelles.

 

Hyacinthe Ouattara dépasse une réflexion centrée sur l’individu pour plonger dans l’immatériel, le métaphysique, le sensible. Son interrogation part d’un constat face aux mouvements humains dans l’espace : qu’est-ce qui lie cette marée humaine ? Comment les individus interagissent-ils entre eux ? Au-delà d’une question sociologique, il touche aux concepts scientifiques sans les nommer : du big bang, au cosmos en passant par l’origine de la vie. S’il commence par disséquer et analyser les tissus cellulaires, pour établir ce qu’il appelle des “cartographies humaines”, bientôt, sa réflexion prend un tournant plus global et touche les mutations du monde lui-même. Ainsi est née la série “Multiplicité”. Il détaille : “Multiplicité est une somme d’expériences et de parcours dans un perpétuel besoin de renouvellement de mon langage plastique. Multiplicité témoigne d’un travail organique intérieur. Cette série invite le spectateur à s’interroger sur sa propre vision d'un monde en mutation permanente.” Au-delà d’une expérience purement esthétique, Hyacinthe Ouattara invite à la synesthésie. Son œuvre engage à écouter ce que nos yeux entendent, à percevoir le bruit dans le silence. De cette manière, il montre que tout est lié et compose ce qui pourrait être une cartographie de l’univers. Artiste prophète, à l’écoute du monde, il se fait messager. Son travail, sur le papier comme sur la toile ou le tissu, transmet et retranscrit les messages sensibles qu’il reçoit. Le geste prédomine. Ses œuvres naissent de la spontanéité, comme d’une transe dans laquelle l’artiste se laisse guider et retranscrit ce qu’il a ressenti. On peut penser au processus du dessin automatique répandu chez les peintres surréalistes. L’inconscient se matérialise dans l’art de Hyacinthe Ouattara. Il y a quelque chose appartenant à l’origine du cosmos qui nous ramène aux Constellations de Joan Miro. Esthétiquement, le dripping et les all-over de Jackson Pollock ne sont pas loin non plus. Ses compositions envahissent l’espace sans objet central. Si la pratique de la peinture de l’américain pouvait être vue comme une performance à part entière, la gestuelle a également toute son importance dans le travail de Hyacinthe Ouattara. Au centre de l’installation Bois sacré, elle raisonne dans les mots que le poète Bernard Noël utilise dans La castration mentale, 1994, pour décrire le travail manuel : 

 

« Le spectacle de ces mains qui lancent le fil, qui le glissent, le passent, le nouent, toujours aériennes dans l’allégresse de leur propre maîtrise. Ce spectacle déclenche derrière les yeux du visiteur une crise : rien ne va plus, ni le temps, ni le sens, ni la présence. 

C'est que la main, ici et en ce temps, ne fait pas qu’une tapisserie : elle continue et elle projette - continue à inscrire le présent dans la chaîne de la durée; elle projette la réflexion dans le geste de telle sorte que chaque point soit dans le voisinage de son avenir. »

 

L’installation Bois sacré théâtralise le lieu d’exposition. En se logeant entre les poutres, ces bouts de bois habillés de fils subliment les espaces oubliés tout comme les oubliés de l’espace. En suspension au-dessus de nos têtes, elle interroge équilibre et déséquilibre. Elle renverse l’ordre du monde et bouleverse nos sens. Si le ciel devient terre, où marchons-nous ? Cette forêt aérienne forme un pont entre les œuvres de Saïdou Dicko et Hyacinthe Ouattara. Elle matérialise de cette manière cette poésie du lien qui unit les deux artistes. L’idée de Bois sacré est née de la volonté de Hyacinthe Ouattara de redonner vie à ces bouts de bois abandonnés. Il met en avant ces oubliés, ces corps délaissés auxquels on ne fait pas attention. Il entend les magnifier : “sublimer ce qui n’est pas voué à être sublimé”. Ces branches se parent de rouge. Rouges comme les battements d’un cœur, elles symbolisent la vie : le début mais aussi la fin. C’est ainsi que Hyacinthe Ouattara leur redonne vie, en écho à la pensée animiste selon laquelle  tous les êtres sont habités par des esprits. “Le bois s’exprime, il vieillit. Le bois en lui-même est un être.”


L’exposition “La poésie du lien” propose donc de plonger dans les œuvres de deux artistes et d’explorer  les résonances qui peuvent exister entre leurs travaux. Hors du temps comme ancrées dans leur époque, figuratives comme abstraites, les œuvres de Saïdou Dicko et Hyacinthe Ouattara, tout en couleur et délicatesse laissent place à la réflexion et à l’interprétation du visiteur. La poésie du lien, c’est finalement une manière de décrire les connexions invisibles qui nous relient. C’est, selon Hyacinthe Ouattara : “comment nous pouvons être liés sous d'autres formes tout en étant distants les uns des autres, dans la forme et l’informe.”

 

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