À travers son exposition personnelle Dans le bruit de la ville, Salifou Lindou renoue avec la pratique de ses débuts, lui qui composait ses œuvres à partir d’objets récupérés. En explorant les possibilités offertes par le matériau, mélangeant les techniques et les médiums pour s’approprier l’espace, Salifou Lindou témoigne, dans ce nouvel ensemble d'œuvres, de la pluralité de son art et reflète les mutations architecturales de l’espace urbain.
Ses bruits, ses fumées, son effervescence : à Douala comme à Paris, la ville fourmille. Son énergie imprègne l'œuvre de Salifou Lindou et se manifeste au détour d’un dédale de rues sinueuses cadencées de constructions aux toits de tôle ondulée, et traversées de voitures comme d’éclats de voix. Alors que la place de la République à Paris vibre au diapason des protestations, emplissant l’espace d’exposition d’échos lointains, Salifou Lindou transpose dans la galerie le bouillonnement de la ville de Douala, répondant au tumulte local. Chacune avec ses préoccupations, son organisation et sa routine, les villes vrombissent à l’unisson. C’est alors que Dans le bruit de la ville met en exergue une urbanité universelle et en capture le chahut comme la beauté.
La pratique artistique de Salifou Lindou bat au rythme de la rue. Elle lui emprunte ses débats, ses problématiques et ses matériaux – gravant la tôle, tordant le fil de fer et intégrant des bribes de son actualité en collant des coupures de journaux. Elle est intrinsèquement liée à ses souvenirs des bidonvilles de Douala et Yaoundé, dans lesquels il déambulait, plus jeune, et où les rires et la joie ponctuaient le quotidien. Lorsqu’il cofonde le Cercle Kapsiki en 1998 – aux côtés de Blaise Bang, Jules Wokam, Hervé Yamguen et Hervé Youmbi – le besoin d’amener l’art vers le public se fait sentir rapidement. C’est ainsi que le groupe d’artistes introduit l’art dans la ville, le sortant des espaces d’exposition habituels alors fréquentés par les élites.
À travers son exposition personnelle Dans le bruit de la ville, Salifou Lindou renoue avec la pratique de ses débuts, lui qui composait ses œuvres à partir d’objets récupérés. En explorant les possibilités offertes par le matériau, mélangeant les techniques et les médiums pour s’approprier l’espace, Salifou Lindou témoigne, dans ce nouvel ensemble d'œuvres, de la pluralité de son art et reflète les mutations architecturales de l’espace urbain.
Des édifices sortent de terre, bordés par une route alambiquée, et entrent en résonance avec les tôles gravées dont les murs se parent. Ils structurent l’espace et se mêlent à l’architecture de la pièce, arpentée de piliers blancs. Lors d’une performance participative (Living Together, 2023), cet écosystème s’anime en suivant les pas de l’artiste qui déambule dans l’espace et recouvre des fleurs de peinture rouge, avant de les assembler en un bouquet, bientôt imité par l’audience. Par cette action, Salifou Lindou crée un lien entre les individus et symbolise l’harmonie qu’il recherche dans une quête du vivre ensemble dans le désordre urbain. Lorsque les lumières s’éteignent, l'œil distingue le mouvement en suivant les bandes lumineuses qui habillent Salifou Lindou et dont il se déleste au fur et à mesure de la procession. Au loin, des boîtes lumineuses brillent. À travers ces tôles déchirées tendues sur un châssis, l’artiste évoque les panneaux publicitaires qui s’accaparent les rues et transforment le paysage.
Des immeubles, du bruit et un nuage de brouillard. La ville est. Mais qu’en est-il de ceux qui l’habitent ? Dans la torpeur, coexistent et s’imposent les hommes et les femmes qui font vivre la ville. Leurs portraits se détachent sur les murs. Les conversations enflammées se poursuivent dans une effusion de couleurs. Salifou Lindou dédie son art à l’exploration de l’être humain, dévoilant sa chair pour tenter de percer ses secrets. Il s’intéresse aux problématiques sociales et dépeint des scènes du quotidien. Depuis 2022, la série Social Game rassemble politiciens et citoyens. Elle engage une conversation et tente de reconnecter le monde politique au peuple. Les personnages se mêlent au chaos urbain. La cacophonie et le mouvement environnant les séparent plutôt que les réunissent. Salifou Lindou montre comment les politiciens manipulent les masses sans même qu’elles ne s’en rendent compte. Alors que chacun vaque à ses occupations dans l’insouciance la plus totale, les politiciens agissent dans l’ombre.
Plus loin, Salifou Lindou évoque les abus de pouvoir et les malversations financières en référence à l’affaire Albatros – relative au financement de l’avion présidentiel camerounais, acheté en 2001 avec des fonds de la Société nationale des hydrocarbures – et à l’opération Épervier menée en 2006 au Cameroun dans le but de lutter contre la corruption. L’artiste interroge : que deviennent les victimes des détournements de fonds ? Car l’argent public dérobé ne servira pas à entretenir les infrastructures collectives. Salifou Lindou déplore ainsi un environnement en décrépitude. La ville tombe en ruine et personne n’y fait rien. En réponse, les oiseaux s’envolent dans un message de paix et d’espoir de lendemains meilleurs. Salifou Lindou dédie ainsi son art aux habitants de la ville. Il dépeint leur quotidien et salue leur résilience face aux injustices sociales. Il les invite à prendre soin de ce qui les entoure pour reconstruire la cité, ensemble, dans la bienveillance et la solidarité.
Finalement, Dans le bruit de la ville est une exposition performative qui ravive et répond à l’agitation de la vie citadine. Manifeste du travail de Salifou Lindou, elle revisite ses souvenirs et rend hommage à sa pratique artistique en réapprivoisant les médiums qu’il travaillait au début de sa carrière, 30 ans auparavant.