La galerie AFIKARIS a le plaisir de présenter la quatrième exposition personnelle de l’artiste camerounais Salifou Lindou. Sous le commissariat de Louise Thurin, cette exposition crée un dialogue entre passé et présent, réunissant des œuvres majeures réalisées depuis le début des années 2000 jusqu’à aujourd’hui, et retraçant ainsi l’évolution d’un langage visuel profondément singulier.

 

De ses premières explorations formelles à ses récentes œuvres multidisciplinaires, cette rétrospective célèbre vingt-cinq années de création, invitant le visiteur à s’immerger dans la richesse et la complexité d’un univers en constante métamorphose.

La galerie AFIKARIS a le plaisir de présenter la quatrième exposition personnelle de l’artiste camerounais Salifou Lindou. Sous le commissariat de Louise Thurin, Carambolage invite à un voyage au cœur de vingt-cinq années de création, réunissant des œuvres majeures réalisées depuis le début du millénaire jusqu’à nos jours. Cette sélection révèle l’évolution d’un langage visuel singulier, fait d’explorations formelles, de motifs récurrents et d’une approche multidisciplinaire en constante métamorphose.

 


Carambolage — emprunté au lexique du billard, désigne un coup où la bille du joueur heurte successivement deux autres billes. Par extension, il évoque un enchaînement d’impacts, un ricochet, une série de collisions, ou encore un accident routier.

 

Ce concept structure l’exposition comme un principe de circulation visuelle et symbolique : au sein de l’espace, le regard du visiteur est invité à « caramboler » — à rebondir d’une œuvre à l’autre, à saisir les dissemblances et similitudes, à s’émerveiller de rapprochements et confrontations inattendus. L’agencement scénographique brise la linéarité chronologique pour proposer une déambulation en zigzag, révélant l’atemporalité, voire la multitemporalité, qui irrigue l’ensemble de la pratique artistique de S. Lindou.

 

Filante, sa pratique est propulsée par une intuition, une impulsion, parfois le hasard, générant un éclatement multidirectionnel, une constellation de formes et de motifs où les séries anciennes se frottent aux pièces récentes. Par ce va-et-vient et ces rémanences, l’artiste maille un réseau de résonances qui rappelle la tradition familiale : le geste du grand-père cordier, tressant licols et longes pour le bétail, ou les ouvrages de tricot réalisés par sa mère. S. Lindou explique : « Je reviens tout le temps, c’est le socle de mon travail. » Ce retour constant n’a rien d’un ressassement : il creuse et étend un univers plastique peuplé de courbes, de contre-courbes, de lignes croisées et de contrepoints.

 

Ce jeu narratif s’incarne davantage encore dans Histoire d’une journée (2013), proche de la bande dessinée par sa structure en cases. On y découvre le récit d’une expédition chaotique d’un homme quittant la ville pour se rendre à Kribi, cité balnéaire du Sud Cameroun. La composition en damier, la succession de saynètes, l’alternance de vues subjectives et de scènes collectives, prolonge des recherches initiées dès 2006 dans des œuvres recto verso sans titres, pensées pareilles à des surfaces de projection fragmentaires. L’œuvre de 2013 apparaît ainsi comme le fruit d’un travail d’assemblage et de narrativisation, faisant dialoguer les différents temps de la pratique de Salifou Lindou, dans une temporalité qui, à la manière du trait de l’artiste, circule, tourne et se détourne.

 

La Pose (2023) — visible dès l’entrée de la galerie — condense ces dynamiques et les diffracte tout autour de nous. On y devine en filigrane un prolongement de la série des Collines rouges (2018–2023), à travers l’association de fleurs stylisées à un décor urbain habité par des groupements d’habitations en tôle. Ce paysage, souligné ici par un encadrement, confère à La Pose une fragmentation supplémentaire : une peinture dans la peinture. La représentation de l’architecture vernaculaire des villes de son pays — notamment à travers des matériaux modestes comme la tôle ondulée — constitue un fil rouge dans le travail de S. Lindou. Elle apparaît aussi bien à l’état brut dans les installations Cabines de relookage (2001) et Urban Scénos (2003), que figurée dans ses toiles, ou encore convoquée à travers l’usage d’un support métallique que l’on retrouve autant en arrière-plan de La Pose que ceux de Vil'Hasard 1 2 (2013).

 

Autre fleur qui s’épanouit dans cette œuvre et dans de nombreuses autres : le tournesol. Présent dans la série de dessins Les Collines de l’espoir (2023), où sa couleur jaune répond à celle des taxis et souligne le cabossage accidentogène des routes et des véhicules, il fleurit aussi au cœur de Fleurs des décombres (2021), sculpture héritière de l’installation-performance Albatros (2013). Le tournesol symbolise une beauté fragile, surgie de l’adversité, et incarne à la fois le crépuscule des Soleils des Indépendances et l’espoir d’un nouveau matin pour le peuple camerounais. Mais cette figure solaire est aussi l’envers d’un contexte sombre : Fleurs des décombres évoque une affaire de corruption, un feuilleton politico-économique ayant marqué l’actualité du pays. Un scandale qui sera le point de départ d’une critique plus large que l’artiste développe dans la série Les Politiciens (2021-2024), où il dénonce les dérives d’une élite de gouvernement palabreuse, inopérante et sourde à la misère des gens.

 

La Pose est aussi, et peut-être avant tout, un portrait de femme. La position assise et accoudée du personnage, soulignée par le titre, est un motif que l’artiste affectionne et décline. Elle fait ici écho à celle de La Femme à l’abat-jour (2015), également associée à un verre ou une bouteille. Ces boissons alcoolisées, discrètement présentes, ouvrent un autre pan du travail de S. Lindou, celui des scènes de convivialité, d’échappée ou de dérive, que l’on retrouve dès Boîte d’encre sur la table (2001) et Le Bibineur (2006). Ce sont des portraits psychologiques, tout en transparence, en chair et en os. Salifou Lindou y regarde ses semblables avec un regard magnanime, et tente de capter cette matière invisible qu’est l’âme humaine — une tôle, visiblement heurtée, cabossée, brûlante, façonnable… à coups de poings chauffés à blanc. 

 

La série des Flûtistes (2019) et la toile Moment of Music (2024) cristallisent cette dimension existentielle : la musique, insufflée, s’y fait cataplasme spirituel, rite de (sur)vie. Les corps y sont feuillages — métaphores d’une humanité ligneuse, à la fois enracinée et arrachée, noueuse et écorchée. Dans Carambolage, Salifou Lindou nous montre cartes sur table. L'artiste a fait ses jeux : il parie sur l’Homme — malgré les collisions et les éclats. Un carambolage d’humanité, aussi chaotique que vital.