Quitter la ville: Moustapha Baidi Oumarou & Omar Mahfoudi

9 Janvier - 10 Février 2021

L’exposition “Quitter la ville”, s’écarte de l’agitation citadine et offre une immersion totale dans la nature accueillante et luxuriante des artistes Moustapha Baidi Oumarou et Omar Mahfoudi. Aussi bien dans l'œuvre de l’un que de l’autre, la nature symbolise un idéal. Si l’un redessine le monde et l’autre capture la “beauté mystique” avec ses pinceaux, tous deux explorent cet “homme fleur” : être sensible, symbole d’humanité et de joie, porteur d’espoir et d’optimisme.

Dans un contexte de crise sanitaire mondiale, quitter la ville apparaît être une échappatoire. Alors qu’il fut un temps où la ville était le lieu de tous les possibles, elle peut se révéler étouffante, objet d’ennui, d’isolement, voire de danger. La situation sanitaire, écologique et économique actuelle attise d’autant plus une certaine tentation de l’exode urbain.

 

La ville et ses tourments ont pourtant inspiré des générations d’artistes. Certains - des impressionnistes Monet et Caillebotte aux street artists qui s'approprient la ville en passant par les photographes Andreas Gursky ou Michael Tsegaye et Andrew Esiebo - documentent et jouent avec les mutations de l’espace urbain, son harmonie comme son chaos. D’autres, tels Houston Maludi sont happés dans ses méandres et fascinés par le rythme de son architecture. Si la ville nourrit l’imaginaire, elle est également source d’aliénation. Le peintre camerounais Jean David Nkot illustre ce rapport de domination du territoire sur le corps à travers sa série “The Shadows of Space” où la ville efface les visages de ceux qui rêvaient d’elle.

 

L’exposition “Quitter la ville”, s’écarte de l’agitation citadine et offre une immersion totale dans la nature accueillante et luxuriante des artistes Moustapha Baidi Oumarou et Omar Mahfoudi. Aussi bien dans l'œuvre de l’un que de l’autre, la nature symbolise un idéal. Si l’un redessine le monde et l’autre capture la “beauté mystique” avec ses pinceaux, tous deux explorent cet “homme fleur” : être sensible, symbole d’humanité et de joie, porteur d’espoir et d’optimisme. 

 

Au milieu d’une végétation dense, les personnages de Moustapha Baidi Oumarou ont quitté la ville. Ces silhouettes pourtant citadines se retrouvent plongées dans la nature. Les éléments naturels que le jeune peintre camerounais introduit dans ses œuvres participent à l’universalité de son message pacifiste. Il précise : “Mes personnages représentent l'homme fleur. Ils symbolisent les instants d'humanité, les moments joyeux et les clichés d’amour.” Tout comme ses personnages, sans visage ni nationalité, il est impossible d’identifier de manière précise les plantes - semblables à des ombres - qui rythment ses toiles. Des branchages et feuillages qui encadrent ou dissimulent ses personnages, aux fleurs qui fusionnent avec leur peau - comme un tatouage - dans l’art de Moustapha Baidi Oumarou, êtres humains et nature semblent ne faire qu’un. Il y a dans la jungle qu’il représente quelque chose d'irréel, de presque surnaturel, à la frontière entre conte et utopie. Dans cette nature artificielle se cachent ses personnages, comme à l’abri des perturbations extérieures. Dans ce cocon hors du monde, ils semblent protégés de la ville et de ses menaces. 

 

Idéologiquement, on pourrait penser au discours anti-urbain du philosophe américain Henry David Thoreau, où la nature, idéalisée, régénère la vie qui l’entoure. Seulement ici, nulle peur ou rejet de la ville, seulement un désir d’universaliser son discours et d’apaiser l’esprit. La scène est à la fois suffisamment vague et suffisamment précise pour que chacun puisse s’y identifier. Et si moi aussi je remettais en perspective mon existence ? Et si moi aussi je me concentrais sur les aspects positifs de ma vie ? Et si moi aussi j’étais heureux ?

 

Esthétiquement, on pourrait penser aux photographies de l’artiste sud-africain Athi-Patricia Ruga où palmiers et fleurs posent un décor onirique. Comme dans ses photographies, fiction et réalité s’entremêlent. S’il vit à Maroua, ville à l’extrême nord du Cameroun sujette aux tensions politiques, Moustapha Baidi Oumarou cherche avant tout à procurer du bonheur à ceux qui regardent ses toiles. Ainsi, dans son œuvre émerge l’espoir d’un monde dans lequel seuls les instants de joie et d’amitié règnent. De cette composition se dégagent mystère, bienveillance et sérénité. Loin du chaos de la ville, naît sous les pinceaux de Moustapha Baidi Oumarou un monde idéal : collection de bonheur et d’amour. 

 

Des hommes et des femmes dans la forêt ou des jeunes baigneurs seuls au milieu d’un lac, sont autant de silhouettes qui habitent le travail de l’artiste marocain Omar Mahfoudi.

 

Intrigants, ces corps fantasmagoriques sont en immersion dans un environnement inconnu. Du papier, se dégage un appel de la nature. Un appel à revenir à l’origine du monde, à repenser l’univers face à son instabilité. Il explique : “Ce qui m'a inspiré ces dernières années c'est l'urgence climatique, l'idée de quitter la ville et l'exil mystique. Nous vivons dans un monde avec de nombreux problèmes : épidémie, pauvreté et exode. Je voudrais parler de beauté mystique et la représenter par la peinture tout simplement.” En toile de fond de son œuvre se devine ainsi une certaine conscience écologique. Il y initie l’idée de s’approprier et de se rapprocher de la nature.

 

Certains de ses dessins montrent un homme seul, entouré de fleurs. Ce flower boy comme il l’appelle, représente l’acceptation de soi et de sa sensibilité, tout comme l’abandon de la peur de ne pas correspondre aux critères de la société. Il détaille : “Quand j'étais jeune (15 ans 20 ans),  j'avais  horreur de porter un bouquet de fleurs en public. Pour moi ce n’était pas un signe de virilité et j'avais envie d'être vu comme un mauvais garçon: le bad boy et pas comme le flower boy.” L’homme fleur est cet homme qui a décidé de vivre comme il l’entend, de renouer avec sa nature et la nature elle-même.

 

L’encre court et donne une dimension dramatique aux visages, réminiscence des portraits de Francis Bacon. En suivant le trajet de l’encre, Les silhouettes sages deviennent mystérieuses, plutôt mystiques qu’inquiétantes. L’encre donne une perméabilité à l’ensemble : les sujets et le décor se mélangent et se fondent l’un dans l’autre. Il n’y a plus d’espace défini. Tout est couleur. 

 

La ville, comme le faisait remarquer Emile Durkheim, a cette capacité d’anonymiser les individus, de faire d’eux un être parmi d’autres. Quitter la ville, serait-il finalement se retrouver ? Ainsi, chacun dans son style et avec des sensibilités différentes, Moustapha Baidi Oumarou et Omar Mahfoudi nous invitent tous deux à regarder le monde autrement, comme une incitation à quitter la ville pour se repenser et renouer avec la nature.

 

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